
La Conférence des oiseaux (en persan : منطق الطیر, Mantiq at-Tayr) est un recueil de poèmes médiévaux en langue persane publié par le poète soufi persanFarîd od-dîn ‘Attâr en 1177. Chef-d’œuvre de poésie mystique d’‘Attâr, il y chante le voyage de milliers d’oiseaux en quête de Sîmorgh, manifestation visible du Divin. Dans ce billet, nous vous présentons la traduction versifiée de Leili Anvar.
Volume broché, 400 pages, 19 x 26 cm
Éditeur : Diane de Selliers (20 février 2014)
Collection : D. DE SELLIERS
Présentation de la traduction versifiée de Leili Anvar du Cantique des Oiseaux
Tous les oiseaux
Du monde un jour se réunirent
Oiseaux de toutes espèces, connues ou inconnues
Et se dirent entre eux : « Nul ne voit ni ne vit
Aucun pays au monde sans un roi à sa tête !
Pourquoi notre royaume n’a point de souverain ?
Il faut que cela cesse, nous en sommes certains
Peut - être pourrions - nous unir tous nos efforts
Et nous aller trouver enfin sa Majesté ?
Réunion des oiseaux, d.682 -685
Leili Anvar, traductrice et spécialiste de la littérature mystique
Leili Anvar, ancienne élève de l’École normale supérieure, docteur ès lettres, est actuellement maître de conférences en langues et littérature persanes à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Elle est également productrice, avec Frédéric Lenoir, de l’émission « Les Racines du ciel » sur France Culture et chroniqueuse au Monde des religions.
Traductrice, spécialiste de la littérature mystique et de l’écriture féminine, elle a notamment étudié la littérature amoureuse et les développements spirituels ainsi que l’importance actuelle de la voix des femmes en Iran et en Afghanistan.
Outre ses travaux universitaires, elle a coordonné en 2004 l’anthologie de poésie arabe, persane et turque : Orient. Mille ans de poésie et de peinture, pour laquelle elle a traduit les poèmes persans (Diane de Selliers, éditeur). En 2008, elle a publié Trésors dévoilés, une anthologie de l’islam spirituel et, en 2009, Rûmi ou la religion de l’amour (Éditions du Seuil).
Leili Anvar est aussi femme de théâtre : elle conçoit et réalise des lectures-concerts autour des grandes œuvres de la spiritualité auxquelles elle prête sa voix. Elle a écrit le livret de l’oratorio Leylâ et Majnûn. L’Amour mystique, créé pour le Festival de musique sacrée de Fès en juin 2011.
Des introductions passionnantes
Leili Anvar, dans « L'envol », introduction au Cantique des oiseaux, nous fait partager ses connaissances sur 'Attâr et la poésie soufie. Elle éclaire le sens profond de ce chef-d’œuvre, composé dans une langue d'une inventivité inouïe par un homme d'une sagesse exemplaire.
Michael Barry, dans l'introduction à l'iconographie « Sîmorgh dans le ciel de Perse », étudie le motif de Sîmorgh, révélant la vivacité des influences successives entre la Perse, la Chine et l'Inde, et rappelle la querelle des arts figuratifs en Islam. Il montre enfin la façon dont les artistes se sont emparés du Cantique des oiseaux et ont peint quelques-unes des plus belles pages de l'art d'orient en s'en inspirant. Des appendices essentiels complètent cet ouvrage de référence
Un glossaire des noms communs et des noms propres, une chronologie, une carte et des notices sur les écoles de peintures et les peintres ont été spécialement conçus pour cet ouvrage. Ces annexes accompagnent et prolongent la découverte et la compréhension du poème d''Attâr et des œuvres qui l'illustrent.
Poème méditatif et rencontre avec soi
Brûlés par le désir de trouver leur Roi, tous les oiseaux du monde se réunissent. Guidés par la huppe, messagère de Salomon, ils décident de s’envoler vers Sa majesté Sîmorgh, l’Être divin, qui vit sur les hauteurs du mont mythique Qâf. La huppe connaît le long et difficile voyage, elle en sait les dangers et les épreuves.
Un répertoire de récits : Le Cantique des oiseaux, une épopée mystique
La huppe conte des histoires édifiantes, puisées parmi les classiques de la littérature profane et dans le Coran pour convaincre les oiseaux de prendre leur envol et les soutenir dans leur ascension. 'Attâr transforme ces archétypes en symboles. La beauté de l'être aimé et toutes les beautés du monde deviennent sous sa plume les signes visibles de la beauté de Dieu. Par-delà sept vallées, seuls trente oiseaux parviennent au bout du chemin.
Les sept vallées
Il faudra traverser les sept vallées successives du Désir, de l’Amour, de la Connaissance, de la Plénitude, de l’Unicité, de la Perplexité, du Dénuement et de l’Anéantissement, pour parvenir enfin jusqu’au Trône royal. Mais les oiseaux hésitent à prendre leur envol, encore prisonniers des attachements terrestres. La huppe conte alors à chacun une histoire de sagesse, dans une mise en abyme qui invite à abandonner ses biens, ses amours, ses certitudes, à renoncer à soi-même pour entreprendre le voyage. Car au bout du chemin il y a l’Être Aimé, Merveille des merveilles.
Sîmorgh, l’invisible splendeur
Sîmorgh, oiseau mythique à la beauté indescriptible, est dans Le Cantique des oiseaux et la mystique d’Orient l’allégorie du Divin. La huppe la décrit comme le seul Être qui mérite d’être aimé et désiré. L’Être suprême, invisible splendeur, échappe au regard : aucun regard ne saurait soutenir son sublime éclat, Lui qui est pourtant là, au tréfonds de chaque âme. Lorsque la Sîmorgh se manifeste, c’est en rayonnant dans chaque âme et dans chaque cœur.
Seuls trente oiseaux parviennent à leur but, mais ils ne trouvent dans la Sîmorgh que le reflet d’eux-mêmes. En persan, sî morgh signifie littéralement « trente oiseaux ». ’Attâr exploite l’homonymie Sîmorgh/sî morgh pour signifier que les sept vallées sont un cheminement intérieur et qu’au terme du voyage les oiseaux ne trouvent et ne peuvent voir qu’eux-mêmes.
La recherche ardente du Divin
Les oiseaux apprennent que le seul moyen d’atteindre le Divin est de se jeter dans le feu de sa Présence et disparaître, de devenir rien pour rejoindre le Tout. À travers l’image de Sîmorgh et le cheminement des oiseaux, ’Attâr diffuse les fondements de la pensée soufie, prônant l’annihilation dans la recherche ardente du Divin.
J’ai survolé longtemps les plaines et les mers
J’avançais pas à pas, la tête dans les cieux
J’ai franchi les montagnes, les vallées, les déserts
J’ai parcouru un monde dans le temps du déluge
J’ai fait bien des voyages auprès de Salomon
Arpenté maintes fois la surface du globe
Ainsi donc, moi je sais qui est mon Souverain
Je ne peux pourtant pas aller seule vers lui
Mais si vous devenez mes compagnons de route
Vous trouverez accès à Son intimité
Il faut vous libérer de votre égocentrisme !
Subirez - vous longtemps votre absence de foi ?
Qui renonce à sa vie gagnera sur lui -même
Dans la voie de l’Aimé qui est source de vie
Il sera au-delà et du bien et du mal
Donnez donc votre vie et entrez dans la danse
Qui à ce seuil royal finit en révérence
Le cantique des oiseaux, prologue, distiques 705 - 712
Des histoires de sagesse
La mosaïque d’histoires qui émaillent Le Cantique des oiseaux illustre l’enseignement d’Attâr, tout en révélant son immense culture. Le poète puise en effet son inspiration à différentes sources : il reprend les figures mythiques citées dans le Coran (tels Joseph et Zoleykhâ), il invoque les héros de l’histoire de la Perse (comme le sultan Mahmûd de Ghaznî) et reprend les classiques de la littérature profane (entre autres, les amours de Madjnûn et Leylî).
'Attâr, poète de la spiritualité soufie
Le poète persan 'Attâr a embrassé le soufisme, doctrine mystique de l'Islam qui invite l'homme au détachement pour mieux approcher du Divin. 'Attâr a lui-même cheminé, empruntant la voie extatique de l'amour et de l'émotion. Et par la magie de l'évocation poétique, la beauté de sa langue, sa musicalité, sa force d'expression, il parvient à dire l'indicible, à montrer l'invisible et à partager avec chacun cette expérience spirituelle.
Il charge de mille symboles ces récits enchâssés dans le poème central, et les présente toujours à l’aune du soufisme. Aussi n’a-t-il de cesse d’exalter à travers eux les valeurs qui sont siennes – l’humilité, la piété, la tendresse et l’indulgence – et d’exhorter à l’abandon de soi dans la quête de l’Être Aimé.
Virtuosité de la langue
Le message spirituel d’Attâr est sublimé par la force de son imagination et de son lyrisme. La beauté des images excite l’imagination, tandis que la musique des mots charme et emporte le lecteur. La langue se déploie avec souplesse, humour parfois – à chaque fois qu’il en a l’occasion, ’Attâr a recours aux jeux de mots, parfois jusqu’au vertige –, et l’élégance du style épouse spontanément l’audace de certains néologismes.
’Attâr sait toujours ce qu’il veut dire et où il veut en venir. Par sa maîtrise narrative et une langue pure, belle, pleine de finesse et de couleurs, il captive l’attention, il permet à l’âme de saisir les vérités invisibles au plus profond d’elle-même. Il a su, par la magie de l’évocation poétique, exprimer l’indicible, dans une œuvre à la portée de tous.
Mon œuvre porte en elle une vertu étrange
C’est que plus tu la lis, plus elle est généreuse
Plus tu pourras la lire, sans cesse y revenir
Et plus à chaque fois tu goûteras ses mérites
(Épilogue, d.4506 - 4507.)
Une expérience spirituelle intime et universelle
Ce que dit ’Attâr résonne au plus profond de chacun. Le lecteur chemine avec les trente oiseaux sur la voie de l’Amour, en quête de Sîmorgh. Ce chemin est semé d’obstacles, mais il s’éclaire lentement à force de patience et d’humilité. C’est par le renoncement aux illusions et à l’ego que l’on parvient à la lumière, à la fin du voyage.
La huppe guide les oiseaux vers des hauteurs célestes qui répondent aux profondeurs intimes de tous les cœurs. Le voyage des oiseaux se fait ainsi l’écho du cheminement spirituel intérieur. Il n’est pas besoin de « croire » pour apprécier Le Cantique des oiseaux : la spiritualité du poème dépasse toute croyance, qui est, selon ’Attâr lui-même, au-delà de la foi et de l’incroyance. Le chemin, les étapes, peuvent s’appréhender à travers le prisme des expériences, des quêtes personnelles et intimes de chacun. Il faut surtout, le temps d’une lecture, se laisser griser par l’émotion et goûter la saveur des mots, porté par la musique de ce chant intemporel.
Une nouvelle traduction, profondément belle. Il fallait à ce chef-d’œuvre une nouvelle traduction, en vers, qui par son souffle et sa musicalité parvienne à rendre cette ascension spirituelle lumineuse, vibrante et universelle.
Versets du Coran mentionnés dans les notes
Les notes du texte donnent les références précises des versets coraniques auxquels ’Attâr fait allusion tout au long de son poème. Pour mieux comprendre ces références sans toutefois altérer le plaisir d’une lecture immédiate du poème, le lecteur pourra retrouver ces versets dans leur intégralité à la fin de l’ouvrage.
Glossaire des noms communs et des noms propres
Le glossaire recense et définit les notions, termes et personnages principaux rencontrés tout au long du poème. Véritable outil pour le lecteur, il accompagne la compréhension du texte et permet de situer les éléments dans leur contexte historique, religieux ou littéraire.
Un livre universel, au-delà de toute croyance
Le Cantique des oiseaux est un récit initiatique par excellence : chacun peut voir dans les oiseaux le reflet de lui-même, à travers le prisme de ses propres expériences, de ses quêtes personnelles et intimes. Chacun peut se perdre dans les vallées pour mieux se retrouver.
Une nouvelle traduction, sublime et inspirée
La traduction en vers de Leili Anvar est lumineuse, élevée, vibrante. On y sent palpiter le génie du poète et on goûte la saveur puissante de sa pensée. Cette traduction tend aussi à l’excellence philologique et linguistique, se fondant sur la récente édition critique en persan du professeur Shafî’î Kadkani, qui permet une interprétation fine et précise du poème d’Attâr.
Le pari était pourtant audacieux – et la tâche immense –, de vouloir à la fois exprimer le plaisir littéraire et la richesse spirituelle des 4724 distiques (9448 vers) qui composent Le Cantique des oiseaux. Mais Leili Anvar a magistralement relevé ce défi. Au point que sa traduction en vers, réalisée spécialement pour cette édition, est la seule à restituer avec autant de force et de justesse le souffle de cette épopée mystique.
Leili Anvar nous présente ’Attâr et nous initie aux arcanes de la poésie soufie
Leili Anvar a relevé le défi immense de traduire en alexandrins rythmés les 4724 distiques (9448 vers) du poème. Pendant quatre années, elle a nourri son travail d'une érudition infinie, et plus encore, du bonheur d'être habitée par cette œuvre qui l'a transformée. Cette traduction habitée par la voix du poète, révèle la virtuosité de son esprit et de son expression. Le rythme alexandrin transpose la ligne mélodique de son chant. La lecture est limpide et cadencée, jamais on ne perçoit l’effort de traduction, jamais le choix des mots ne cède à la facilité.
Elle prépare à la lecture en éclairant le sens profond du poème, tout en invitant à se laisser porter par son souffle lyrique.
« Pour ’Attâr, l’âme a été séparée de l’Être aimé et jetée dans le monde qui est une terre d’exil. Ainsi chaque âme porte en elle la nostalgie du temps où elle était unie au Divin ; elle aspire à retourner à son Origine. C’est pourquoi, dès l’ouverture, les oiseaux cherchent l’Être suprême, Celui qui a été loué au début du prologue comme le Créateur des mondes. Ainsi, la situation de l’âme dans le monde est déjà une souffrance, souffrance que le cheminement va amplifier car la condition même du perfectionnement est le renoncement à soi. Pour que l’Aimé advienne au miroir de l’âme, il faut se vider de l’ego, il faut s’arracher à tout ce qui n’est pas Lui.
Une source d'inspiration fondamentale pour les peintres en orient
Œuvre vénérée du Bosphore au Gange, Le Cantique des oiseaux a largement influencé la création littéraire et artistique en orient. Du XIVe au XVIIe siècle, les lettrés se sont nourris des motifs allégoriques développés par 'Attâr. À la demande des princes commanditaires, les peintres des grands ateliers d'Iran, de Turquie, ou d'Inde ont illustré 'Attâr et médité profondément son œuvre, parsemant leurs enluminures d'allusions au Cantique des oiseaux. C'est à la lumière de ce poème que l'on peut comprendre la symbolique profonde de la peinture d'orient.
Une iconographie forte en symboles
Au-delà de la beauté, la valeur symbolique des œuvres a guidé nos choix iconographiques, afin que chacune des deux cents ouvres reproduites, par sa résonance avec le poème, l'éclaire et le magnifie. Les recherches ont été menées au sein des collections publiques et privées d'art islamique en Europe et aux États-Unis, mais surtout au Proche et Moyen-Orient. Des collections difficiles d'accès, conservant des trésors rarement reproduits : les musées du Caire, de Bagdad, de Kaboul, la bibliothèque du Golestan et le Musée National en Iran, la bibliothèque du palais Topkapi à Istanbul.
La contribution de deux spécialistes : des commentaires indispensables
Des commentaires présentés en regard de chaque illustration éclairent la lecture du texte et des œuvres. Ils mêlent les contributions de Michael Barry, professeur à l'université de Princeton, spécialiste des civilisations de l'Iran et de l'Afghanistan, consultant auprès de la fondation de l'Aga Khan, et, de Leili Anvar, normalienne, agrégée et docteur en littérature persane.
Ces commentaires révèlent les allégories du poème, précisent ses références au Coran et aux classiques persans, nous aidant à mieux appréhender la pensée d''Attâr. Ils dévoilent également les gloses visuelles que les enluminures offrent du texte, en donnant les clés d'interprétations des œuvres reproduites.
Le résultat est sublime, fidèle à la lettre et à l'esprit d''Attâr.
Pour plus de précision sur cette présentation et sur l’œuvre voir : site internet des éditions Diane de Selliers et ICI.