Le présent traité fait partie des nombreux petits écrits de Muhy ed-Dîn Ibn Arabî.
Datant de la première moitié de sa vie, mais d’une époque où le maître s’était déjà manifesté comme le Sceau de la Sainteté muhammadienne (Khatamu-l-Wilâyati-l-muhammadiyya), cette œuvre expose sous une forme succincte l’essentiel de son enseignement sur les moyens fondamentaux du travail spirituel. Pour souligner l’importance de ceux dont il parle, il les montre comme constituant plus spécialement la méthode de réalisation d’une des plus hautes catégories initiatiques, les Abdâl.
Ouvrage traduit de l'arabe, présenté et annoté par Michel Valsan. Paris, Les Editions de l'Œuvre, 1992.
Extrait
Au nom d'Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux
Louange soit rendue à Allah pour ce qu'Il a inspiré et "parce qu'Il nous a enseigné ce que nous ne savions pas! Il nous a accordé ainsi une faveur magnifique"! (Coran, 4, 113) Et qu'Allah prie sur le Chef le plus auguste, le Prophète le plus noble, celui qui a reçu les "Sommes des Paroles" à la Station Suprême et qu'Il lui accorde Ses salutations! Dans la nuit de lundi 22 du mois de Jumâdâ-l-Ulâ, en l'année 599, me trouvant à l'étape d'ElMâyah à Tâïf, à l'occasion de la visite pieuse que nous avons faite (au tombeau) d'Abdallah Ibn Abbas, cousin du Prophète, j'ai adressé à Allah une "demande de conseil", du fait que mes compagnons Abou Muhammad Badr ibn Abdallah alHabashi (l'Abyssin), affranchi d'Abou-l-Ghanâ'im ben Abi-l-Futûh al-Harrânî, et Abû Abdallah Muhammad ben Khalid es-Sadafî at-Tilimsani (de Tlemcen) -qu'Allah leur soit propice à tous les deux- m'ont demandé de rédiger pour eux, en ces jours de visite pieuse, quelque enseignement dont ils pourraient tirer profit dans la voie vers la vie future. Après avoir accompli ma "demande de conseil", j'ai écrit le présent cahier (kurrâsa) que j'ai intitulé: "La Parure des Abdal et ce qui s'en manifeste en fait de connaissances et états spirituels", qui pourrait leur être, à eux ainsi qu'à d'autres, une aide sur le chemin du bonheur et un texte synthétique traitant des différents modes de la volonté spirituelle (alirâda). Et pour cela, de l'Existentiateur de l'univers nous demandons appui et aide! Sache que l'Autorité (alhukm) est fruit de la sagesse (alhikma), et que la Science (al'ilm) est fruit de la connaissance (alma'rifa). Celui qui n'a pas de sagesse n'a pas d'Autorité, celui qui n'a pas de connaissance n'a pas de Science. Celui qui possède à la fois l'Autorité et la Science (alhakîm al'âlim) se dresse "pour Allah" (li-Llâhi qâ'im), et celui qui a la sagesse et la connaissance (alhakîm al 'ârif) reste "par Allah"(biLlâhi wâqif) : les gens d'autorité et savants sont ainsi des lâmiyyûn (ayant comme emblème la lettre lâm) pendant que les sages connaisseurs sont des bâ'iyyûn (ayant comme emblème la lettre bâ'). Tandis que l'ascète (az zâhid) se plaît à renoncer au monde, et que celui qui se confie à Dieu (almutawakkil) repose entièrement sur son Seigneur, et tandis que le désirant (almurîd) recherche les chants spirituels et l'enthousiasme annihilant, et que l'adorateur (al'âbid) est tout à sa dévotion et à son effort, enfin tandis que le sage connaisseur (alhakîm al'ârif) exerce sa force d'esprit (alhimma) et se concentre sur le but,- ceux qui sont investis de l'Autorité et possèdent la Science (alhakîmûn al'âlimûn) restent cachés dans l'invisible et ne les connaît ni "connaisseur", ni "désirant", ni "adorateur", comme ne les perçoit ni "confié à Dieu", ni "ascète"! L'ascète renonce au monde pour en obtenir le prix, le confiant se remet à son Seigneur pour atteindre son dessein, le désirant recherche l'enthousiasme pour abolir le chagrin, l'adorateur fait du zèle dans l'espoir d'accéder à la "proximité", le connaisseur sage vise par sa force d'esprit 1'"arrivée", mais la Vérité ne se dévoile qu'à celui qui efface sa propre trace et perd jusqu'à son nom! La connaissance est voile sur le Connu, et la sagesse une porte auprès de laquelle on s'arrête; de même tous les autres modes spirituels sont des "moyens" (asbâb) comme les "lettres"; et toutes ces choses ne sont que "faiblesses" ('ilal) qui aveuglent les regards et éteignent les lumières. Car s'il n'y avait pas les Noms, le Nommé paraîtrait, s'il n'y avait pas l'amour, l'union persisterait, s'il n'y avait pas les lots différents (du sort), tous les degrés seraient conquis, s'il n'y avait pas la Huwiyya (le Soi suprême), la Anniyya (le Moi suprême) paraîtrait, s'il n'y avait pas Huwa, Lui, il y aurait Anâ, Moi, s'il n'y avait pas Anta, Toi, se verrait la marque de l'ignorance, s'il n'y avait pas la compréhension (ordinaire) s'affirmerait le pouvoir de la Science (pure): et alors les ténèbres seraient abolies, et toutes ces lourdes bêtes s'envoleraient comme d'impondérables oiseaux dans les exiguïtés de l'extinction !
A ton cœur se révèle Celui qui n'a jamais cessé
de résider dans l'inscrutable mystère du Sans-commencement!
Mais c'est toi-même qui étais le voile sur ton œil
bien que cela fût par la vertu même de ta similitude divine.
Alors au cœur apparaît que Celui qu'il voit
n'a jamais cessé de l'appeler vers Lui!
C'est ainsi qu'un Propos vint, renfermant toute Parole,
et sa gloire fut manifestée par l'Envoyé de la Région Suprême !