[Conte soufi] De la parabole de l'embryon dans le sein maternel
« Si quelqu'un disait à l'embryon dans le sein maternel :
« En dehors d'ici se trouve un monde très bien ordonné,
Une terre agréable, longue et large, remplie de délices et de choses à manger,
Des montagnes, des mers, des plaines, des vergers embaumés, des jardins et des chemins semés,
Un ciel très élevé et plein de lumière, le soleil, les rayons de la lune et de cent étoiles ;
Le vent du sud, le vent du nord, le vent de l'ouest, donnant aux jardins l'apparence de banquets de noces et de fêtes.
Ces merveilles sont au-delà de toute description : pourquoi restes-tu misérable dans cette obscurité ?
Pourquoi bois-tu du sang dans cette place étroite au sein de l'emprisonnement, de l'ordure et de la souffrance ? »
L'embryon, en raison de son état présent, serait incrédule, s'écarterait de ce message et ne le croirait pas.
Disant : « Ceci est absurde, c'est une tromperie et une illusion. » Car le jugement des aveugles est dépourvu d'imagination.
Étant donné que l'embryon n'a rien perçu de cette sorte, son incrédulité n'écouterait pas (la vérité).
De même en ce monde, le Saint parle aux hommes ordinaires de cet autre monde, disant : « Ce monde-ci est une fosse extrêmement sombre et étroite ; au-dehors est un monde sans odeur ni couleur. »
Aucune de leurs paroles n'est entrée dans l'oreille d'un seul d'entre eux, car le désir sensuel constitue une barrière énorme et solide.
Le désir ferme l'oreille et l'empêche de contempler.
De même que dans le cas de l'embryon, le désir du sang qui est sa nourriture dans cette vile demeure l'empêchait de prêter l'oreille aux nouvelles de ce monde. »
Le commentaire d'Eva de Vitray-Meyerovitch
Cette joie de l'au-delà, Rûmî ne cesse d'en parler. Elle est pour lui l'aboutissement et nous n'avons été créés que pour la connaître un jour. Il ne cesse de s'émerveiller et ses méditations le conduisent parfois sur d'étranges chemins. Celle par exemple qui évoque la goutte de sperme qui n'a ni ouïe ni intelligence et à partir de laquelle, pourtant, naît le corps humain si complexe et si harmonieux. Il assiste au développement des organes et à la montée de l'intelligence. Cette incroyable évolution ne peut pas ne pas avoir de but et ce but, il ne cesse de l'affirmer, c'est d'arriver au ciel dont "la nature est de dilater l'âme dans la joie".
C'est ainsi qu'il voit sa mission : éveiller les Hommes, leur faire comprendre que leur destin va bien au-delà de cette terre, qu'ils sont appelés à la Connaissance et à un avenir radieux dont ils ne peuvent avoir la moindre idée.
Il n'y a pas de temps à perdre et le maître spirituel est là pour inciter les Hommes à se mettre en marche sans attendre.
"Si nous nous laissions aller au sommeil, disait-il en évoquant sa mission, qui porterait le remède à tous ces infortunés endormis ? Je les ai tous pris à ma charge, afin de demander à Dieu de les faire parvenir à la perfection."
Car l'Homme est fait pour être parfait. C'est sans doute cela l'intuition fondamentale de Rûmî. Savoir que l'Homme passe infiniment l'Homme et que le rôle du Maître, en dernière analyse, consiste à le faire devenir ce qu'il est. Il est un accoucheur qui doit mettre au monde cet Homme parfait que nous sommes tous appelés à devenir.
Poème de Rûmî et commentaire extraits du livre - Eva de Vitray-Meyerovitch Islam, l'autre visage page 93-94