Iqad al Himam est une explication des Hikam (« Sagesses ») de l’imam Ibn `Ata’illâh, qui sont une pièce majeure du patrimoine spirituel de l’Islam. Les Sagesses de Ibn `Ata’illâh ont été commentées maintes fois et continuent encore de l’être aujourd’hui. Le commentaire d’Ibn `Ajiba, qui reste le plus abouti et le plus réputé, a la particularité d’expliquer la Sagesse par la Sagesse, ou pour le dire autrement, le soufisme par le soufisme. L’explication d’Ibn `Ajiba est un ouvrage incontournable de la littérature soufie et est la référence en la matière.
Le shaykh Muhammad as-Sa`idi a classifié les sagesses et les commentaires par thème et y a ajouté de nombreuses explications et observations afin d’enrichir et préciser le contenu d’origine. Cette nouvelle version de Iqad al-Himam devient ainsi un guide complet sur la science de la spiritualité et du cheminement vers Dieu.
Un des signes que l’on compte sur ses actions, c’est d’avoir moins d’espoir en cas de faux pas.
Si tel était le cas, la science du soufisme n’existerait pas. Les résultats des véritables œuvres, et la récolte des fruits des actes purs, sont illustrés par la phrase suivante : celui qui œuvre en fonction de la science qu’il a héritée de Dieu, il apprendra ce qu’il ne connaît pas encore.[1]
Ainsi, notre maître Ibn’ata Illah commence à traiter le sujet des œuvres en disant :
« Compter sur une chose, c’est s’appuyer dessus et s’y fier. »
L’acte c’est un mouvement du cœur ou du corps. Si ce mouvement est fait en accord avec la Loi (Shari’a), on l’appelle obéissance. Si au contraire ce mouvement est fait en désaccord avec la Loi, on l’appelle désobéissance. Chez les maîtres spirituels, il y a trois catégories d’œuvres : l’œuvre selon la Loi, l’œuvre selon la Voie, et l’œuvre selon la Réalité divine. On les appelle également les actes de l’Islam, les actes de la Foi et les actes de l’Excellence, ou bien les actes de soumission, les actes d’obéissance, et les actes d’adoration (ou de délivrance), ou encore les actes des gens du commencement, les actes des gens du milieu (du parcours spirituel) et les actes des gens qui sont parvenus à la fin (du cheminement). La Loi, c’est Lui vouer un culte, La Voie c’est Le désirer, et la Haqiqa c’est Le contempler. On peut dire que la Loi, c’est rectifier les actes externes, la Voie, c’est réformer les consciences, et la Réalité, c’est rétablir les secrets intimes. Rectifier les actes des membres passe par trois conditions : la crainte (de Dieu), l’éducation (religieuse) et la droiture. La réforme des cœurs a trois principes qui sont : la pureté de l’intention, la sincérité et l’apaisement. Rétablir les secrets nécessite aussi trois principes qui sont : la vigilance, la contemplation, et la connaissance. On peut aussi dire que pour rectifier les actes externes, il faut s’écarter des interdits et appliquer les ordres. Pour réformer les consciences, il faut abandonner toute forme de vice et s’attacher à toutes les formes de vertus. Pour réhabiliter les secrets, il faut dans ce cas-là humilier et briser l’âme jusqu’à l’éduquer à accepter les règles de bienséance, la modestie et le bon comportement. Sache qu’ici nous avons évoqué les actions nécessaires à la purification des membres, des cœurs, et des âmes. Nous les avons présentées de manières détaillées en fonction de chaque catégorie. En ce qui concerne les sciences et les connaissances, ce sont les fruits de la purification et du perfectionnement. Lorsque les secrets se sont purifiés, ils se remplissent de sciences de connaissances et de lumières. On ne change pas de station spirituelle tant que celle qui la précède n’est pas acquise et réalisée. Celui dont les débuts sont lumineux aura une fin lumineuse. On ne peut exécuter les œuvres de la Voie tant que les membres et les œuvres ne sont pas conformes à la Loi. Pour cela, il faut remplir les conditions du repentir, de la crainte, et de la droiture. Il s’agit en fait du suivi du prophète, que les prières et les bénédictions soient sur lui, dans ses paroles, dans ses actes et dans ses états spirituels (Ahwal). Lorsque l’externe est purifié et illuminé par la Loi, on peut passer des œuvres externes de la Loi aux œuvres internes de la Voie. C’est ce qui est relatif à la purification des attributs humains et de ce que cela implique. Dès que l’on se purifie des attributs humains, on se pare des attributs spirituels. Ces attributs (spirituels) sont la bienséance (politesse) envers Dieu lors de Ses Manifestations, c’est ainsi que Dieu Se montre. Puis, quand les membres fatigués se reposent, il ne reste plus que la bienséance. Certains hommes réalisés disent :
« Celui qui parvient à la réalité de l’islam ne reste pas cantonné en s’attachant uniquement à l’accomplissement des œuvres, celui qui parvient à la réalité de la foi ne peut pas compter sur ses œuvres sans l’aide de Dieu, celui qui parvient à la réalité de l’excellence ne peut se tourner que vers Dieu. »
L’aspirant (à Dieu) ne devra pas compter sur lui ou sur ses œuvres lors de son cheminement dans les stations (spirituelles) et encore moins sur sa force ou sa puissance. Il ne devra compter que sur les faveurs, la guidance, l’agrément et la rétribution de son Seigneur. Le Très-Haut dit :
« Ton Seigneur crée ce qu’Il veut et Il choisit ; il ne leur a jamais appartenu de choisir. Gloire à Dieu ! Il est au-dessus de ce qu’ils Lui associent »[2].
Il dit aussi :
« Et si ton Seigneur avait voulu, Il aurait fait des gens une seule communauté. Or, ils ne cessent d’être en désaccord (entre eux) sauf ceux à qui ton Seigneur a accordé la miséricorde. »[3]
Le prophète, que les prières et les salutations soient sur lui, a dit :
« Aucun d’entre vous n’entrera au Paradis grâce à ses œuvres ». On lui demanda alors : « Même pas toi, Ô Envoyé de Dieu ? ». Il répondit : « Même pas moi, sauf si Dieu me couvre de Sa Miséricorde. »[4]
Compter sur soi amène le malheur et l’affliction. Compter sur les œuvres c’est le signe que l’on n’a pas encore réalisé que tout est éphémère. S’attacher aux miracles et aux états spirituels montre que l’on ne fréquente pas les hommes de Dieu. Compter uniquement sur Dieu révèle qu’on Le connaît. Les signes prouvant que l’on ne compte que sur Dieu, c’est que l’espoir ne diminue pas en cas de désobéissance et qu’il n’augmente pas lorsqu’un acte d’excellence émane de nous. On peut dire en d’autres termes que la crainte ne grandit pas lorsque l’on commet un acte par inadvertance tout comme l’espoir ne grandit pas lorsque survient l’éveil. On doit constamment balancer entre la peur de Dieu et l’espoir en Lui. La peur résulte du témoignage de Sa Majesté alors que l’espoir découle du témoignage de Sa Beauté. La Majesté et la Beauté du Vrai ne grandissent pas ni ne diminuent, elles ne sont pas soumises au changement. Voilà comment celui qui compte sur Dieu voit les choses contrairement à celui qui compte sur ses œuvres. Ce dernier, s’il œuvre peu, son espoir diminue et s’il œuvre beaucoup son espoir augmente. Cela est dût au fait qu’il a associé ses œuvres à Son Maître à cause de son ignorance. S’il s’était éteint à lui-même et qu’il subsistait par son Seigneur, il serait apaisé de ses peines et il Le connaîtrait. Cela nécessite un Maître accompli qui doit te retirer aux peines infligées par ton âme et te placer dans le repos par la vision de Ton Seigneur. Le maître parfait, accompli dans sa réalisation spirituelle, est donc celui qui t’apaise de tes peines et non celui qui t’y pousse. Celui qui te montre le chemin des œuvres t’épuisera, celui qui te montre le chemin du bas monde te trompera, et celui qui te montre Dieu aura fait preuve de bon conseil comme l’a si bien dit le Shaykh Ibn Mâchich[5] :
« Appeler à Dieu, c’est pousser à l’oubli de soi. Si tu t’oublies, c’est que tu évoques ton Seigneur ». Le Très-Haut a dit : « Et évoque ton Seigneur si tu oublies (autre que Lui). »[6]
La cause des peines vient de l’évocation de son ego et au fait de s’occuper soigneusement de ses besoins et de son bien-être.
Celui qui n’y prête pas attention ne trouve que sérénité.
Concernant la parole du Très-Haut, « Nous avons créé l’homme dans l’affliction »[7], c’est-à-dire dans la peine, ceci est particulier aux gens du voile, c’est-à-dire ceux dont l’ego est toujours vivant. Par contre, celui qui a tué son ego, le Très-Haut dit de lui :
« Si celui-ci est du nombre des rapprochés, alors il jouira de repos, de la grâce et du jardin des délices »[8].
Ce verset signifie le repos de l’arrivée (à Dieu), la grâce de la beauté et les jardins de la perfection. Le Très-Haut dit : « Nulle fatigue ne les y touchera »[9]. « Fatigue » est ici synonyme de peine et lassitude. Cependant, on n’accède à la sérénité qu’après les afflictions. La victoire n’est obtenue qu’après la quête : « Le paradis est entouré de choses détestables ».
Ô toi, amoureux du sens de notre beauté
La dot est élevée pour nous épouser.
Le corps affaibli et l’âme dans l’immensité du ciel
Les paupières qui ne goûtent pas au sommeil.
Le cœur qui ne contient rien d’autre que Nous.
Si c’est ce que tu veux alors voilà le prix à payer.
Si c’est ce que tu veux alors éteint toi pour à tout jamais.
L’extinction t’apporte cette richesse
Ôte tes sandales lorsque tu pénètres dans ce sanctuaire.
En lui est notre Sainteté
Exile-toi de l’Univers
Enlève ce (voile) qui est entre Nous et parmi Nous
Si on te demande pour qui tu t’es pris de passion
Réponds : « Je suis Celui que j’aime, et Celui que j’aime est moi. »
Il faut franchir six pentes raides jusqu’à atteindre le domaine de la proximité dans « La résolution des énigmes et l’ouverture des trésors »[10] :
La première, c’est d’empêcher les membres de violer la Loi Sacrée
La seconde, c’est empêcher son ego de s’attacher aux habitudes quotidiennes.
La troisième, c’est détourner son cœur des caprices humains
La quatrième, c’est débarrasser son ego de ses impuretés naturelles
La cinquième, c’est délester son âme de l’influence des sens
La sixième, c’est défaire son intellect des illusions provenant de l’imagination.
Surmonte la première montée pour arriver aux fontaines des sagesses du cœur. Après avoir franchi le second obstacle, tu accéderas aux secrets des sciences religieuses. Tu arriveras ensuite à la troisième pente où t’apparaîtront les signes des conversations intimes du Royaume des mystères (Al Malakout), c’est alors que brilleront les lumières du compagnonnage intime. Au quatrième obstacle, puis à la cinquième, on te montrera les lumières de la contemplation avec amour. Tu descendras ensuite la sixième pente vers les jardins de la Sainte Présence.
Là, tu ne t’arrêteras plus à l’aspect primaire et dense des sens quand tu verras les subtilités que contient l’être humain. S’Il veut te choisir, en faisant de toi un élu, ll te fera boire une gorgée de la coupe de Son amour. Cette gorgée augmentera encore plus ta soif, ton désir ardent de goûter à cette coupe, ta quête de proximité. Tu ne seras plus préoccupé que par le silence. Voilà son Bien-aimé. Les dires du Très-Haut « Entrez au Paradis par ce que vous faisiez »[11] confrontés aux dires du Prophète, que les prières et les salutations soient sur lui, « Aucun d’entre vous n’entrera au Paradis par ses œuvres », ont complètement confondu quelques vertueux. La réponse est que le Livre (le Coran) et la Tradition prophétique alternent entre la Loi (Shari’a) et la Réalité (Haqiqa), c’est-à-dire entre la législation et la réalisation. Pour un même sujet, ils vont appliquer la Loi exotérique (Shari’a) pour certains moments et ils vont se référer à la Réalité (interne/Haqiqa) à d’autres. Le Coran peut légiférer à certains moments et la Tradition prophétique (Sounnah) apporte la réalité profonde. D’autres fois, la Tradition prophétique légifère et le Coran nous apporte la réalité profonde. L’Envoyé de Dieu, que la paix et les salutations soient sur lui, explicite ce que Dieu a fait descendre. Dieu le Très-Haut a dit : « Et c’est sur toi que Nous avons fait descendre le Coran, pour que tu exposes clairement aux gens ce qu’on a fait descendre pour eux afin qu’ils réfléchissent »[12]. Les dires du Très-Haut « Entrez au Paradis par ce que vous faisiez » sont une prescription pour les gens sages, ce sont les gens de la Loi (Shari’a). Quant aux dires du Prophète, que les prières et les salutations soient sur lui : « Aucun d’entre vous ne rentrera au paradis par ses actes »[13], il s’agit d’une réalité profonde à laquelle les gens de la puissance, c’est-à-dire les gens de la Réalité spirituelle, doivent se référer.
Le Très-Haut a dit : « Mais vous ne pouvez vouloir que si Dieu, le Seigneur de l’Univers, le veut »[14]. Il s’agit d’une réalité profonde alors que la parole du Prophète, que les prières et les salutations soient sur lui : « Lorsque l’un d’entre vous fait une bonne action, on lui inscrit une bonne action »[15], se réfère à la Loi (Shari’a) prescrite.
En conclusion, le Coran est en conformité avec la Tradition prophétique et la Tradition prophétique est en conformité avec le Coran. Une personne se doit donc d’utiliser ses deux yeux : un œil regarde la Réalité et l’autre doit regarder la Loi. Si le Coran légifère pour un sujet, c’est qu’il y a forcément eu un autre sujet pour lequel il faut se référer à la Réalité profonde. Si le Tradition prophétique légifère pour un sujet c’est qu’il y a forcément eu un autre sujet pour lequel il faut se référer à la Réalité profonde, à moins que ce ne soit le Coran qui en apporte la Réalité. Il n’y a aucune contradiction et confusion entre un verset et une parole prophétique (Hadith). Pour en revenir à la confusion que peut engendrer la parole du Très-Haut « Entrez au Paradis par ce que vous faisiez » et les paroles du Prophète, que les salutations et les prières soient sur lui, « Aucun d’entre vous n’entrera au Paradis par ses œuvres », on peut l’expliquer par le fait que lorsque Dieu le Très-Haut a appelé les gens à l’Unicité (monothéisme) et à l’obéissance, ceux-ci ne rentreraient dans l’islam que par convoitise et intérêt personnel. Voilà pourquoi Il leur a promis la récompense pour leurs œuvres. Lorsque l’islam a affermi leur pas, le Prophète, que les prières et les salutations soient sur lui, les a fait sortir de cette manière sommaire de voir les choses et il les a élevés en les purifiant, pour qu’ils arrivent à un état de servitude désintéressé et sincère. Quand ils ont réalisé cet état d’intention pure et sincère, c’est alors qu’il leur a dit « Aucun d’entre vous n’entrera au Paradis par ses œuvres. »
Et Dieu le Très-Haut sait mieux.
[1] Rapporté par Abou Na’Im par la voie d’Ahmad Ibn Hanbal qui le rapporte de Yazid Ibn Haroune d’après Hamid Tawil d’après Anès. Ahmad Ibn Hanbal a évoqué ses dires en le prenant de certains successeurs des compagnons qui l’attribuent à Jésus fils de Maryam, que la paix soit sur lui.
[2] Sourate (28) « Le récit », verset 68
[3] Sourate (11) « Houd », verset 118
[4] D’après un hadith d’Abou Hourayra authentifié par Boukhari et Mouslim
[5] Sidi Abou Hassane Shadhili a dit : j’ai interrogé mon Shaykh Moulay Abd Salam Bani Machich à propos du hadith : « facilitez les choses, ne les rendez pas difficiles, annoncez la bonne nouvelle et ne les repoussez pas ». Il me répondit : « Celui qui te montre le chemin du bas monde te trompe, celui qui te montre le chemin des œuvres t’épuise et celui qui te montre le chemin de Dieu a fait preuve de bon conseil ».
[6] Sourate (18) « La caverne », verset 23
[7] Sourate (90) « La caverne », verset 4
[8] Sourate (56) « L’événement », verset 89
[9] Sourate (15) « Al Hijr », verset 48
[10] « La résolution des énigmes et l’ouverture des trésors » écrit par Azz Dine Abd Salam Ben Ahmad Ben Ghanim Ben Ali Al Maqdissi Shafi’i mort en 678 de l’hégire au Caire. Ce livre a été faussement attribué à Izz din Abd Salam, surnommé le Sultan des savants, décédé en 660, mais Dieu est plus Savant.
[11] Sourate (16) « Les abeilles », verset 32
[12] Sourate (16) « Les abeilles », verset 44
[13] Unanimement reconnu authentique
[14] Sourate (76) « L’homme », verset 30
[15] D’après Abou Hourayra, que Dieu l’agrée, l’Envoyé de Dieu (paix et bénédiction de Dieu sur lui) a transmis ces propos d’après son Seigneur, l’Exalté : « Quand un de Mes adorateurs veut commettre une mauvaise action, ne l’inscrivez pas à son passif tant qu’il ne l’a pas encore accomplie ; s’il l’accomplit, ajoutez à son passif une seule mauvaise action. Par contre s’il veut faire une bonne action, et même s’il ne l’accomplit pas, ajoutez-lui à son actif une bonne action ; mais s’il l’accomplit, ajoutez-lui dix bonnes actions ». Le Prophète, que les prières et les salutations soient sur lui, a dit : « les anges ont dit : “Ô Seigneur, untel serviteur veut commettre un péché” (bien qu’Il le voit mieux qu’eux). Surveillez-le, et s’il le commet, alors inscrivez-lui un péché, et s’il le délaisse, alors inscrivez-le en sa faveur, car il l’a délaissé pour Moi ». Le prophète a dit : « si un d’entre vous purifie sa religion en l’améliorant, alors chaque bonne action qu’il fait sera multipliée par dix jusqu’à sept cents. Chaque mauvaise action est comptabilisée comme une seule mauvaise action, et ceci jusqu’à ce qu’il rencontre Dieu. » Rapporté par Muslim
Source : http://amehorizon.fr/sagessesiqadalhimam-iqad-al-himam-sagesse-1_81.html